COMPOSITION 1933
L’agrandissement de l’orgue
Des travaux importants sur l’orgue Cavaillé-Coll furent réalisés entre 1930-1933 sous la
direction du titulaire, Charles Tournemire*. Le but de ces travaux portait surtout sur la
modification de la composition et de la mécanique. Dans un souci de continuité, il choisit
la Maison Cavaillé-Coll dirigée depuis peu par Joseph Beuchet pour effectuer les travaux.
LES RAISONS
Dans une lettre adressée à Carl Weinrich,
Charles Tournemire se plaignait de l’état
plus que précaire de l’orgue: « l’orgue de
Sainte Clotilde est en si mauvais état qu’on
a décidé de le réparer ». Outre ses
défaillances multiples dues à son grand
âge (soixante-douze ans sans restauration),
l'instrument présentait aux yeux de
Tournemire de certaines faiblesses
techniques :
•
L'étendue des claviers et du pédalier
qui étaient respectivement de 54 notes
(l’ut1, au fa5) pour les claviers et de 27
notes (l'ut1, au ré3) pour le pédalier.
•
Le nombre très élevé de jeux de fonds
de 8 pieds et le manque de jeux de
mutations (en particulier les cornets)
•
La relative pauvreté de jeux au Récit
qui était, de surcroit, dépourvu de
mixtures et de mutations
•
La Pédale qui possédait un nombre
restreint de jeux de Fonds.
Bien que conforme à l’esthétique du jeune
Cavaillé-Coll de 1859, la composition n'était
plus du tout d'actualité en 1930.
Tournemire fut l’un des premiers à se
soucier de la redécouverte de la musique
ancienne européenne, en particulier à de
Frescobaldi, Buxtehude, Cabanilles,
Pachelbel, Grigny et Bach. De ce fait, il ne
paraît pas impensable que, profitant
justement du délabrement de l’instrument
à bout de souffle, Tournemire voulut plus
qu’une restauration ‘pieuse’ selon ses dires.
Il appliqua ses idées novatrices en matière
de facture d’orgues. Il se justifia ainsi dans
la notice de l'inauguration de 1933:
Il fallait apporter la plus grande
circonspection aux agrandissements
relatifs à 10 jeux supplémentaires, et à
l'extension des claviers manuels (de 54
notes à 61), du pédalier (de 27 à 32). Là
aussi, le travail a été remarquablement
exécuté. Cet enrichissement se justifie par
le souci que j'ai eu, en conscience, de servir
complètement l'Art de I‘Orgue, du XIIIe
siècle jusques à nos jours. En outre, je ne
me suis pas interdit de songer aux
possibilités futures ...
TÉMOIGNAGES
Suite à l’inauguration de l’orgue modifiée par la
Maison Beuchet, de nombreuses personnalités
du monde de l’orgue parisien s’exprimèrent au
sujet des travaux réalisés.
•
Tournemire
•
Miramon Fitz-James/André Fleury
•
Pierre Moreau
•
Maurice Emmanuel
Quelques articles de presse parus en 1933
L’ORGUE DE CHARLES TOURNEMIRE
Le programme des travaux consistait à :
•
La restauration de la mécanique (y compris des machines Barker) et l’alimentation
en vent des grands réservoirs à double plis.
•
L’installation d’un tirage de jeux pneumatique
•
L’agrandissement de l’étendue des claviers manuels de 54 à 61 notes (C-c4), et du
pédalier de 27 à 32 notes (C-g1)
•
L’agrandissement et l’approfondissement de la boîte expressive du Récit afin
d’ajouter un sommier supplémentaire de six jeux derrière celui de Cavaillé-Coll
(avec une troisième machine Barker?).
•
La diminution de la pression du vent du Positif. Tournemire voulait réaliser une
différence significative entre GO et Positif (La pression du Positif était à l'origine plus
élevée que celle du GO).
•
L’Installation d’une nouvelle console ergonomique avec plusieurs
fonctionnalités nouvelles, notamment 26 cuillères de combinaisons. La
pédale d'expression fut recentrée. La disposition des jeux était la
suivante: les jeux de fonds à gauche, les jeux de combinaisons à droite,
comme les pédales de combinaisons. Conscient de la valeur historique
de la console de Franck, Tournemire la racheta au curé de Sainte-Clotilde
et sa veuve la donna ensuite à son ancien ami Flor Peeters (Belgique). À
son tour, Flor Peeters la donnait par testament au Conservatoire Royal
d’Anvers. Elle est conservée au Vleeshuismuseum d’Anvers où elle est
visible actuellement.
La composition fut également modifiée (un apport d’environ 40% à la tuyauterie
originale). Les changements et les ajouts furent les suivants :
Grand-Orgue
•
Ajout d’un cornet V rangs (sur un petit sommier complémentaire);
•
L’Octave 4' fut remplacée par une Flûte 4'
Positif
•
Ajout d’une Tierce 1 3/5' et d’un Piccolo 1' (sur la chape de Clarinette qui a été
déplacé au Récit)
•
L’Unda Maris est accordée juste et de ce fait transformée en Salicional
•
La Flûte Octaviante 4' fut transformée en une Flûte 4' (très adouci selon
Tournemire).
•
Réharmonisation de la Viole de Gambe
Récit
•
Ajout d’un Quintaton 16’, d’un Nasard 2 2/3', d’une Tierce 1 3/5', d’un Plein Jeu IV
rangs, d’une Bombarde 16'.
•
Mise en place de la Clarinette 8' du Positif
•
Ajout de la première octave de la Gambe 8’ (l'octave grave était empruntée à un
jeu de fond de 8')
•
La Flûte Octaviante 4' fut transformée en une Flûte 4'
Pédale
•
Ajout d’une Soubasse 16’, d’une Quinte 5 1/3 sur un sommier additionnel neuf
devant la boîte-expressive. Cet ajout provoqua un déséquilibre entre le Récit et le
Positif. C’est pour cela que Jean Langlais fit installer dans les années 1950 un abat-
son au-dessus du buffet. Ce dispositif ne réussi finalement pas à gommer
complètement ce défaut constaté.
•
La Basse 8' fut transformée en une Flûte 8’
•
L’Octave 4' fut transformé en une Flûte 4'.
Les travaux commencèrent en juillet 1932. La
réharmonisation fut confiée à Michel Mertz**, la
restauration et l'élargissement de la partie mécanique
furent faites par les ouvriers Berthelot et Thiemann. Le prix
total fut estimé à environ 250 000 francs.
La réception a eu lieu le 27 juin 1933 en présence d'Albert
Alain, Joseph Bonnet, Paul Brunold, Alexandre Cellier,
André Marchal, Dom Letestu (organiste à Solesmes) et
Félix Raugel. L’inauguration eu lieu le vendredi 30 juin en
présence du Cardinal Verdier, archevêque de Paris. Le
programme de Tournemire fut le suivant : Tiento VII de
Cabanilles, Toccata de Buxtehude (BuxWV 156), le
troisième Choral de Franck, une première audition des
Trois Poèmes opus 59, Communion de dimanche dans
l'octave de l'Ascension de L'Orgue Mystique. Une
improvisation clôtura le concert.
* La dernière audition de l’orgue « de Franck » fut donnée par 7 élèves** de Tournemire, le 25 avril 1932 (Daniel Lesur, Gaston Litaize, Jean
Langlais, Olivier Messiaen, Noëlie Pierront, Maurice Duruflé et André Fleury). Le programme était consacré aux compositions de « l’Orgue
Mystique ».
** L’harmoniste Michel Mertz a été formé dans à la manufacture Cavaillé-Coll, où dans laquelle il est entré en mai 1898(Bibliothèque nationale
de France, RES VMA MS-1370), l’année même où Aristide Cavaillé-Coll céda son entreprise à Charles Mutin. Selon Jean-Marc Cicchéro
(Hommage à une passion, p. 68), il y serait resté jusqu’en 1936. Mais il ne figure pas dans le personnel de la maison Beuchet-Debierre.
L’ENREGISTREMENTS
César Franck
Prière en ut dièse mineur
Fantaisie en La Majeur
Final
Feike Asma, Sainte Clotilde, janvier 1959
Source
Une photo du Grand Orgue prise par Maurice Duruflé en
personne (merci à Frédéric Blanc)
Le compte-rendu de l'inauguration du GO après les
travaux de Tournemire, dans la revue " Le ménestrel".
Une autre photo du Grand-Orgue du temps de Tournemire
B. de Miramon Fitz-James (président
de la Société des Amis de l’orgue)
louait l’ajout des nombreuses octaves
graves et aiguës qui permettaient de
renforcer l’intensité sonore de
l’orgue.
Cependant, il y eu également un
certain nombre d’avis moins positifs.
Selon le témoignage personnel de
André Fleury, assistant de
Tournemire de 1922 à 1930, qui a joué
et écouté l'instrument avant et après
les modifications et a constaté que le
son était devenu moins attrayant.
Jusqu’à la fin, Charles Tournemire manifesta un grand soin
pour son instrument avec lequel il entretenait une vraie
relation affective, quasi charnelle (Mon cher compagnon
fidèle, confident de mes douleurs et de mes joies (Charles
Tournemire in « Mémoires » p71).
Tournemire loua les timbres et l’harmonie de l’instrument
mais se montra très critique envers la précision de la
mécanique et la dureté des claviers dont il réclamât à
maintes reprises des améliorations.
Tournemire écrivit dans la 'Notice d'Inauguration': « Cet
enrichissement se justifie par le souci que j'ai eu, en
conscience, de servir complètement l'Art de l'Orgue du
XIIIème siècle jusques à nos jours ». Tournemire a loué le
travail comme «équilibré selon toutes les règles de l'art» et a
affirmé que la particularité de cet instrument résidait dans le
fait qu’il y avait une grande homogénéité et d'incroyables
nuances d'équilibre extraordinaire (à la fois dans le
crescendo sur la base du Cor de nuit du Récit avec la boîte
fermé jusqu'au fortissimo plus fort, comme dans le
decrescendo).
Extrait des Mémoires de Charles Tournemire, daté du 26 juin
1933: « Les sonorités de mon orgue de Ste Clotilde sont
magnifiques, mais la mécanique laisse à désirer. »Selon sa
veuve, Tournemire n’était pas très heureux avec les claviers
qui n’étaient pas facilement jouables (très dur, malgré les
machines Barker).
Pierre Moreau*, alors organiste de St
Marcel et titulaire-adjoint à Notre
Dame écrivit:
« Cet instrument de quarante-cinq
jeux (sic) était certainement l'un des
plus beaux de Paris par la qualité de
ses timbres, et de plus, l'acoustique
de la basilique permettait d'entendre
le moindre détail que mettait en
valeur la façon si personnelle dont
Charles Tournemire l'utilisait.
En 1932, l'orgue fut complètement
relevé : une console neuve avec
clavier de cinq octaves et pédalier de
trente-deux marches, remplaça
l'ancienne. De plus, quelques jeux
furent ajoutés, car l'orgue de 1858-
1859 n'avait aucun cornet. Lors de sa
création Gabriel Reinburg,
collaborateur si justement réputé de
la maison Cavaillé-Coll, l'harmonisa
et, Michel Metz, dont le talent était à
bon droit apprécié, n'en modifia
aucunement la sonorité initiale. »
*Pierre Moreau, extraits de ses «
Souvenirs ». Charles Tournemire.
L'orgue Cahiers et mémoires, 1989-1,
nr 41.
Maurice Emmanuel, Maitre de Chapelle de la
Basilique de 1904 à 1907, écrivit en juin 1933:
…Bien que j'aie pris une place, je suis allé derrière
l'autel, afin de savourer à cette distance les effets
vraiment magiques de l'instrument. Il m'a
semblé que vos mixtures ont transformé la
sonorité des tutti, C'est devenu d'un « gras»
délectable. Le mélange des fonds et des anches
est réalisé dans une perfection totale. Jamais je
n'avais entendu (à votre orgue) une sous-basse
aussi douce et aussi mystérieuse. N'est-elle pas
une de vos créations ? La boîte expressive a dû
être modifiée, car les dégradations de nuances
m'ont paru merveilleuses. La Clarinette a dû être
changée de place, car elle a perdu son
immutabilité « positive » et dans la splendide
pièce du « Sacris Solemniis », elle m'a vraiment
enchanté, bien que sa voix ne se fut pas
longtemps élevée dans le concert de votre
orchestre. Mais si courte que fût son intervention,
quel charme! Sans parier des merveilles
harmoniques que contiennent dans diverses
pièces les grands accords (surtout parfaits)
enchaînés avec grandeur comme vous savez le
faire, la sonorité a pris une noblesse, une justesse,
une signification nouvelles. Que ne pouvez-vous
jouir de tout cela, dans le fond de l'église, à
soixante mètres au moins de l'instrument ! Je
pense que vous êtes satisfait. Vous allez pouvoir,
sur cet instrument adapté à vos convenances,
créer un monde sonore selon vos rêves. Je vous
envie un tel bonheur.
(Source : Mémoires de Charles Tournemire)