COMPOSITION 1933
LE CHANGEMENT DES PLANS 1853-1859
Il y a plusieurs hypothèses au sujet de ce
changement radical des plans originaux de
Cavaillé-Coll, qui signifiait un retard de livraison
de deux ans.
(1) Changement de l’architecte
Au début de l'automne 1853, l’architecte François-
Christian Gau sentant sa fin prochaine, confia
l’achèvement de la Basilique à son jeune
assistant, Théodore Ballu, qui modifia alors
l’élévation de la façade et des tours. Ces dernières
entrainèrent d’importantes modifications
concernant la position de la tribune et du buffet,
qui amenèrent Cavaillé-Coll à repenser
entièrement la disposition spatiale et sonore de
l’orgue. L'architecte Ballu a installé le buffet de
style néogothique au second étage d’une haute
tribune en chêne, sculptée par Pyanet et Th.
Lechesne. Le premier étage a été conçu pour
accueillir la Maîtrise. Elle est accessible par un
escalier à partir de l'intérieur de l'église. La
tribune supérieure (niveau du grand orgue) était
desservie par un autre escalier à partir du narthex
de l’église. Cette élévation entraina une réduction
de la place consacrée à l’orgue dans le sens
vertical. Cavaillé-Coll dut se résoudre à contourner
cet obstacle en construisant l’instrument
principalement dans la profondeur (vers l’arrière).
Le problème de l'espace a été résolu
partiellement en avançant les tourelles latérales
de l’orgue vers l'avant de la galerie elle-même,
pour aérer la disposition du Grand Orgue. Avec un
tel agencement, il est clair que l’emplacement
élevé et la construction vers l'arrière ont créé un
problème important pour la diffusion et la
propagation du son de l'orgue vers l'église. De
plus avec de telles contraintes, Cavaillé-Coll dut se
soustraire à placer la console dans une sorte de
niche d’où la perception acoustique était des plus
mauvaises pour l’organiste.
Probablement en 1853 Cavaillé-Coll ne savait pas
ce qui l’attendait au moment où il fit le dessin de
l’instrument. En 1855 il écrivit au préfet qu'il ne
recevait pas encore les plans ultimes pour le
buffet d’orgue. Ces plans confrontaient Cavaillé-
Coll à une situation entièrement novatrice alors
que la conception de l’instrument était déjà bien
avancée. En conséquence, son plan initial n'était
plus approprié et il dut y remédier non sans
problèmes pour arriver finalement à un résultat
satisfaisant.
(2) Influence de César Franck
En 1857 César Franck fut nommé Maître de
Chapelle et titulaire prévu du nouvel orgue. Ainsi
il aura exercé une grande influence dans ce rôle
de l’élaboration et la conception finale d'orgue et
sa composition.
(3) Evolution de la facture de Cavaillé-Coll
Entre 1853 et 1857 Cavaillé-Coll perfectionna ses
idées concernant la facture et y ajouta des idées
novatrices quant à la conception, la mécanique,
les timbres et l’harmonie. Perfectionniste et sans
cesse à la recherche de la pointe du progrès,
Cavaillé-Coll changeait souvent ses plans au cours
de la construction d’un orgue afin d’améliorer sa
qualité.
Lire aussi:
Michel Jurine (Rontalon)
Propos du grand orgue de la Basilique
Sainte-Clotilde. Un tournant dans l’œuvre
d’Aristide Cavaille-Coll.
L’ORGUE DE CESAR FRANCK 1/2
. Les quelques écrits qui nous sont parvenus indiquent clairement que l’instrument, livré
en 1859, était très différent du projet initial de 1853. Les changements les plus importants
étaient :
•
Le changement de disposition des claviers
Dans le projet de 1853, le clavier de Grand-Orgue se situait au deuxième clavier et le
Positif sur le premier clavier (Cette disposition fut héritée de l’Orgue Classique Français
qui disposait le Positif de Dos au premier clavier afin de faciliter le trajet de la
mécanique). Au courant de la construction de l’orgue, Cavaillé-Coll inversa la
disposition et mit le Grand-Orgue au premier clavier et le Positif sur le deuxième
clavier.
•
La composition fut agrandie avec l’adjonction de six jeux et l’élimination de certains
jeux
•
L’étendue de la pédale passa de 25 à 27 notes.
•
La réorganisation de la distribution les jeux de fonds et les jeux de combinaisons. Cette
modification impliqua dès lors une modification profonde avec la création de
sommiers nouveaux*; une deuxième machine Barker au Positif; une modification de la
mécanique de notes et des jeux ainsi que l’adaptation de la soufflerie. Une indication
de la l’importance de ces interventions se retrouvent dans les coûts, qui ont été
finalement presque 1 ½ une fois et demie plus élevés que prévu. Cavaillé-Coll justifia
ces coûts plus élevés à l’architecte Théodore Ballu en affirmant que les circonstances
étaient très exceptionnelles à cause de la configuration de la tribune et du buffet,
impliquant beaucoup plus de travail et de dépenses que prévu.
L'orgue fut harmonisé par l’harmoniste Gabriel Reinburg.Ce n'est pas Franck qui fut
amené à faire sonner l'instrument en premier. Lefébure-Wely fut chargé de faire sonner
le nouvel orgue à l'occasion de deux mariages mondains célébrés le 20 et 29 septembre
sous l'insistance de la Duchesse d'Albe et de l' évêque de Carcassonne qui officiait ce jour
là.
L'inauguration de l’orgue**, initialement prévu le 5 décembre eut lieu le 19 décembre
1859. Franck et Lefébure-Wely se partagèrent les claviers à cette occasion.
Le programme fut le suivant :
•
César FRANCK: Final en Sib ( par César Franck)
•
JS. BACH : Prélude & Fugue en mi mineur BWV 533 ( par César Franck)
•
LJ. LEFEBURE-WELY : Trois improvisations sur des cantiques populaires de Noël (
"Adeste Fideles", Grand-Choeur sur le "Il est né le Divin enfant").
Le chanoine Hamelin, curé de la paroisse, procéda à sa bénédiction quelques temps
après.
Cavaillé-Coll écrivit ces quelques lignes au sujet de la conception sonore et
mécanique à l’époque de la construction de l’orgue de Ste Clotilde : ****
Cet orgue est complètement conçu dans une perspective dynamique en vue d’un
gigantesque crescendo. Le Basson-Hautbois du Récit, qui intervient dans la nuance
piano, boîte fermée, accouple aux jeux de fonds des autres claviers, est sur la laye des
fonds, de façon à réserver celle des jeux de combinaison aux anches de batterie. Pour
jouer de plus en plus fort, il suffit à l’organiste de tirer presque tous les jeux (ceux
composant le grand chœur), de fermer la boite du Récit (fonds+hautbois), de mettre
l’accouplement Récit/Grand Orgue – mais cela ne fonctionnait pas à Sainte Clotilde -
et de jouer au Grand Orgue, puis d’ajouter l’accouplement Positif/Grand Orgue, puis
l’appel Grand Orgue, puis, parvenu à ce stade, d’appeler les jeux de combinaison du
Positif et enfin du Grand Orgue et de la Pédale. Il y a deux tirasses, celle du Positif
entraine l’accouplement Récit, celle du Grand Orgue entraine l’accouplement Positif,
on aura soin de ne mettre la tirasse Grand Orgue qu’au moment de jouer sur ce
clavier. Certains auteurs et interprètes remarquent l’absence de Tirasse Récit et
d’accouplement Récit/Grand Orgue, qui sont inutiles dans la mesure où les
accouplements Récit/Positif et Positif/Grand Orgue fonctionnent en cascade.
Entretien de l’orgue 1859-1933
L'orgue a été entretenu en 1891 (sans changements importants) et à une date inconnue au
début du XXe siècle (à ce moment-là, le Pédale d’orage (ou Appel GO) a été remplacé par
un Tirasse Pédale - Récit) par Charles Mutin (le successeur de Cavaillé-Coll). C’était
probablement à cette période que la cuillère à crans qui commandait l’ouverture de la
Boite-Expressive du Récit en 3 positions fut remplacée par une Pédale à bascule.
L’entretien régulier (c’est-à-dire les diverses petites réparations, accords, réglages
mécaniques) fut assuré jusqu’en 1933 par la Maison Cavaillé-Coll et successeurs.
Ainsi, avant les grands travaux en 1933, l’orgue n’avait pas bénéficié de grands
changements majeurs et se trouvait dans un relatif bon état au moment de la nomination
de Charles Tournemire. ***
* Il ’est possible que plusieurs parties de cet orgue selon le dessin de 1853 ont été utilisé pour l'orgue de Saint Martin de Bergues, construit en 1858 par Cavaillé-Coll.
** Helga Schauerte estime que l'orgue n'a été terminé qu'en l'automne 1863, le moment que Franck était nommé titulaire (Helga Schauerte-Maubouet Théodore Dubois et César Franck à Sainte-Clotilde La tradition
musicale de la basilique Sainte-Clotilde de Paris L’Orgue n° 278-279 (2007/II-III) 7-14 ISSN 0030-5170)
*** Témoignage de Charles Tournemire dans le programme d'inauguration (1933): ): L’orgue de Sainte Clotilde, inauguré en 1859, ne subit, depuis cette époque, que deux 'relevages'... en 1898, date à laquelle l'auteur
de la présente notice, M. Charles Tournemire, prit possession de cette chaire. Dès ce temps-là, l'état de l'orgue réclamait des soins constants.
**** Source : Roland Galtier Innovations techniques et musicales chez Cavaillé-Coll des débuts à l’orgue de Sainte-Clotilde. Revue « La Flûte Harmonique » Numéro 97 Association Aristide Cavaillé-Coll, Paris, 2015.